La Canague vieille

Histoire du domaine

Texte extrait de "L’ELDORADO DU VIN. Les châteaux de Béziers en Languedoc"

Ce vaste domaine, propriété au moins depuis le début de la seconde moitié du XVIIe siècle, de la famille de Villeraze, atteint 1300 s. à la veille de son fractionnement en 1817.

Nous avons conté ailleurs le scandale mondain que fut en 1772, l’assassinat de M. de Franc, procureur du roi, par le jeune baron Adrien de Villeraze (1747-1824), futur seigneur de la Canague, criminel chanceux qui partit en Saxe puis en Prusse où il devint chambellan du Grand Electeur. Gracié à l’avènement de Louis XVI, établit à Pau, il revint en Biterrois après la Révolution mais délaissa son hôtel, place du Capus (aujourd’hui annexe du musée des Beaux-Arts) et s’établit à la Canague où il aurait apporté les plans de Tokay produisant le fameux vin royal et impérial. Il y décéda en 1824.

Son père laissa à sa mort, en 1809, l’hôtel de Béziers, la Canague, la terre de Castelnau, de Saint-Bauzile d’Esclassan et des atterrissements dans l’étang de Vendres voisin, mais le partage entre quatre enfants et les difficultés financières de l’intrépide Adrien aboutirent à un essai de vente aux enchères en 1817. Une précieuse affiche décrit la Canague mise à prix 600 000 F : 1300 s. de terre, de beaux bâtiments, des caves, des cours et pigeonniers, de beaux jardins avec fontaine… Invendu, Villeraze écrivit, en 1818, qu’il le céderait pour 500 000 F, en se réservant la récolte pendante, une barrique de Tokay (sic), et l’autorisation d’être ” enterré dans la chapelle auprès de [son] père “. Dix jours plus tard, il priait son notaire d’avertir de possibles acquéreurs : Viales, Nogués, M. de Ginestous, Mandeville, Salvan, Chuchet et M. d’Hauteroche.

En 1821, La Canague était acquise par des créanciers : Antoine-Jean et Jean-Félix Chuchet. En 1848, leur père Jean-Antoine Chuchet, leur avait fait donation de ses biens ainsi qu’au troisième fils, Antonin. Après que les deux premiers eussent partagé les biens attribués indivisément, en 1853, ceux-ci vendirent le vieux château et un noyau de terre, dits ” La Canague Vieille ” à Auguste Texier de Béziers, Jean-Félix Chuchet, de Béziers, distillateur et gendre du maire Casimir Péret, acquit La Trésorière* en 1851 pour 600 000 F et il semblerait qu’Antonin ait eu ” La Canaguette ” ou ” Canague neuve ” produisant 14 000 hl en 1906. C’est là que ce bienfaiteur émérite de la basilique Saint-Aphrodise réunit une collection de tableaux dont certains ont été généreusement donnés par lui au musée des Beaux-Arts.

Auguste Texier a demandé à Garros de transformer les bâtisses existantes en un château qu’il laissa, à sa mort, en 1896, à son fils Louis, né en 1849, avocat à Béziers. Il habitait rue de la Citadelle, en 1906, à l’heure où il récoltait 6 000 hl à La Canague vieille, qu’il vendît, très âgé, en 1930, à Pierre Castel et à son beau-frère Alfred de Crozals. Celui-ci était le fils de Paul qui avait épousé en première noces Mlle Miquel, soeur de Madame Mandeville, que nous allons retrouver à La Grande Canague.

En effet, un autre noyau fut acquis, peut-être des Chuchet, par la famille Mandeville, une des plus importantes fortunes de Béziers comme en témoigne l’acte de partage de la succession de Jean-Guillaume Mandeville (1775 – 1862). Ses possessions s’étendaient sur les communes de Béziers, Poilhes, Nissan, Montady, Capestang et Montels. Elle possédait, notamment, les domaines de Régimont (191 ha), Longuet (96 ha), et Lalle (63 ha), et un hôtel à Béziers 5 et 7 rue Montmorency, éléments d’un actif approchant 1 700 000 F ! Plus tard, elle ajouta aussi le Bosc, qui comme Longuet, appartient encore à leurs descendants.

La Grande Canague et Roque-Haute (c. Portiragnes) appartenaient à Alfred Mandeville, né vers 1833 qui avait épousé Victoire Miquel et résidait à Béziers, place de la Révolution, dans l’hôtel acquis par elle en 1881 (passé en 1918 au Dr Bergé et aujourd’hui maison de l’avocat). Ce ménage eut deux filles, et la mère, veuve, récoltait en 1906, 6 000 hl à Roque-Haute et 12 000 hl à La Grande Canague ; elle y aurait fait édifier par Garros, sur la hauteur, un château qui, avec deux corps légèrement saillants, n’aurait rien de remarquable s’il n’offrait au milieu de la façade arrière une étonnante tour ronde d’escalier. La marquise de Thézan Saint-Géniès (L’Hermitage*) eut Roque-Haute et Mme Cros-Mayrevieille La Grande Canague que ses enfants échangèrent avec Georges Mercadier, vers 1950, contre le domaine de Canet (Aude).

Ce dernier a reconstitué la majeure partie de l’ancien domaine des Villeraze car il acquit aussi, vers la même époque, La Canague Vieille. Ces domaines appartiennent à ses enfants, respectivement Mme Huc et le Dr Mercadier.